26
La Mort Exquise, qui avait pénétré le système en trombe, perdit en vélocité à l’approche du puits gravitationnel de Myrkr. La planète, d’abord une tête d’épingle verdâtre dans le champ étoile, grossit jusqu’à devenir un disque émeraude gros comme un ongle. Anakin ne se rappelait pas si Myrkr avait ou non une lune, mais la lueur perlée qui flottait en orbite était bien trop intense pour provenir d’une étoile et bien trop stable pour n’être qu’une illusion d’optique. Il se tourna vers la station des senseurs, derrière laquelle Lowbacca était assis. Le Wookiee avait passé une combinaison pressurisée sur sa tenue en molytex. Sa tête disparaissait sous une capuche de commandement et ses mains puissantes étaient enfouies au fond de gants de contrôle.
– Lowie ? Tu as quelque chose ?
Le Wookiee grogna une réponse que M-TD, flottant au-dessus de l’épaule de son maître, traduisit par :
– Maître Lowbacca déploie tous les efforts possibles et vous assure qu’il vous informera dès qu’il sera parvenu à un résultat.
Anakin savait parfaitement ce qu’avait répondu Lowbacca, mais il ne fit aucune remarque à propos du caractère ampoulé et franchement édulcoré de la traduction. Peu de gens connaissaient le langage des Wookiees au sein du commando et M-TD insistait sur le fait que son rôle était de s’assurer que les membres de l’équipe comprennent Lowbacca aussi bien que lui les comprenait.
Lowbacca gronda une courte remarque. M-TD ajouta :
– Il souhaite également rappeler que les fréquentes requêtes d’informations ne font que perturber sa concentration.
– Je sais, dit Anakin. Désolé.
Le commando était parvenu assez rapidement à maîtriser toutes les commandes de la Mort Exquise. Ils avaient, avant la mission, étudié toutes les données disponibles sur les appareils Yuuzhan Vong et s’étaient même entraînés sur une barge d’assaut capturée. Cependant, les senseurs demeuraient un problème. A mille lieues des technologies orientées vers l’extérieur traditionnellement employées par la Nouvelle République, les Yuuzhan Vong rassemblaient leurs informations en analysant les infimes distorsions que la gravité des objets distants créait dans la structure spatio-temporelle même du vaisseau. Dans la mesure où les meilleurs experts de la galaxie s’arrachaient toujours les cheveux à essayer de comprendre les bases de la technologie Yuuzhan Vong, il n’était pas surprenant que Lowbacca ait du mal à manipuler les batteries de senseurs, même avec Tahiri à ses côtés pour lui servir de conseillère.
Lorsque Anakin se tourna à nouveau vers Myrkr, la planète avait grossi pour devenir un disque couvert de nuages de la taille de la tête d’Ulaha. La tache grise flottant en orbite avait également considérablement grossi.
– C’est vraiment une lune, dit Anakin. (A cette distance, il ne pouvait pas s’attendre à ressentir quoi que ce soit par le biais du cristal lambent. Mais il reconnaissait ce qu’il était en train de voir.) Une lune Yuuzhan Vong.
Lowbacca poussa un grondement victorieux et M-TD traduisit :
– Maître Lowbacca pense également qu’il s’agit d’un vaisseau-monde Yuuzhan Vong. (Lowie grogna et gronda encore quelques instants et le droïde traducteur ajouta :) Il y a plusieurs corvettes en orbite autour de ce vaisseau-monde, dont le diamètre est exceptionnellement large, environ cent vingt kilomètres.
C’était aussi grand que la première Etoile Noire. Anakin poussa un petit sifflement, puis projeta les ondes de la Force vers le petit disque gris dans le lointain. Il n’était pas du genre à éliminer systématiquement toute coïncidence, mais il n’en était pas moins suffisamment soupçonneux pour considérer également les coïncidences avec précaution. Il ressentit aussi un tiraillement déjà bien trop familier. L’agitation sauvage du voxyn. Mais il y avait quelque chose d’autre, une autre présence animée de terreur, de souffrance… et de surprise.
Une perception claire, précise, nullement brumeuse. Une perception Jedi, pas Yuuzhan Vong.
Anakin ne se rendit pas compte qu’il s’était étranglé de stupeur, jusqu’à ce qu’une main vienne lui secouer le bras. Alema lui demanda ce qui n’allait pas. Sans répondre, il continua à se concentrer sur le vaisseau-monde. La présence lui renvoya une réponse. La terreur et la souffrance étaient toujours là, mais il y avait également une sensation de pitié. Pas pour elle-même, comprit le jeune homme, mais pour lui. Il obligea son cœur à se remplir d’émotions réconfortantes, essayant de projeter une aura de confiance et d’espoir, sachant pourtant que la Force ne serait peut-être pas suffisante pour convoyer le message qu’il souhaitait transmettre. La présence parvint à maintenir le contact pendant quelques instants, puis disparut brusquement, se fermant à Anakin sans lui donner la moindre possibilité de savoir si, oui ou non, les sentiments qu’il avait projetés avaient atteint leur cible.
– Anakin ? demanda Tahiri en frappant dans ses mains.
– Il y a des Jedi, là-bas, dit-il. Avec les voxyns.
– Eh bien, voilà qui met un terme au plan A. (Le plan A prévoyait que l’équipe s’introduirait en secret dans le centre de clonage, le détruirait au moyen de missiles au baradium et profiterait de la confusion résultant de l’explosion pour s’assurer que la reine était bien morte avant de prendre la tangente.) Il va falloir envisager autre chose.
– Bien sûr, dit Alema. (Se tenant à côté du siège de commandeur, face à Tahiri, elle posa une main sur l’épaule d’Anakin et se tourna vers lui.) Mais si nous renonçons à notre meilleur plan, nous courons le risque de perdre plus de Jedi que nous ne pourrons en sauver.
Jacen émergea sur le pont et leva les yeux au ciel en entendant la remarque de la Twi’lek.
– Alema, je crois qu’Anakin est parfaitement conscient de ce qui est en jeu dans le cas présent.
– Jacen, je peux me débrouiller, dit Anakin, faisant de son mieux pour éviter d’avoir l’air irrité. Et il n’est pas nécessaire, non plus, de me bassiner avec le Côté Obscur. Je suis parfaitement au courant de ce qui risque d’arriver.
– Anakin, je voulais simplement dire que…
– Est-ce que tu ne devrais pas être à ton poste de combat, là ? demanda Anakin, interrompant délibérément Jacen. (Il adressa un regard dénué de la moindre ambiguïté à Alema et à Tahiri.) Est-ce que tout le monde ne devrait pas être à son poste de combat ?
Jacen sentit le rouge lui monter aux joues. Tahiri plissa les yeux. Tous trois regagnèrent les places qu’on leur avait assignées, laissant Anakin seul avec ses pensées. C’était l’un de ces moments contre lesquels Lando les avait mis en garde. Un de ces moments au cours desquels n’importe quelle décision exprimée par Anakin semblerait la plus mauvaise. Mais Lando ne disposait pas de la Force pour le guider et Anakin avait encore besoin de quelques minutes avant de décider quoi que ce soit. S’il attendait un petit peu, peut-être que les choses se décanteraient. Cela se passait presque toujours comme ça.
Jaina manœuvra la Mort Exquise pour positionner le vaisseau en vecteur d’approche. Les rebords de l’énorme disque vert de Myrkr commencèrent à glisser en travers des hublots à bâbord du pont. De l’espace, en tout cas, il n’y avait aucun signe d’activité de transformation Yuuzhan Vong à la surface de la planète. La sphère ressemblait toujours à ce monde forestier nimbé de vapeur dépeint dans tous les atlas holographiques.
Le vaisseau-monde, en revanche, était en train d’obstruer rapidement la vue par la verrière principale. Petit à petit, il était passé de la taille d’une assiette de banquet kuati à celle d’une table de conférence du haut commandement. Un petit halo d’étoiles scintillantes laissait présumer la présence d’une émanation de chaleur, et des cercles marbrés de brun et de gris commençaient à se dessiner à la surface crevassée du planétoïde.
S’attendant à ce que le villip qui se trouvait en face de lui s’anime pour les héler, Anakin fit signe à Tahiri de s’approcher. Puis il s’empara de l’unité de camouflage prévue dans son harnais d’équipement et se retrancha derrière l’image préenregistrée d’un guerrier Yuuzhan Vong. Impossible de savoir si les tatouages et scarifications du soldat holographique convenaient à un commandeur de corvette. La quantité de modifications corporelles semblait plausible, mais les services d’espionnage de la Nouvelle République suaient toujours sang et eau pour comprendre la signification de chaque motif.
Lowbacca gronda un avertissement depuis la console des senseurs, informant Anakin qu’un trio de corvettes Yuuzhan Vong venait d’apparaître de l’autre côté de la planète Myrkr et que les engins avaient adopté une formation d’escorte derrière la Mort Exquise. Anakin ordonna à Jaina de continuer comme si de rien n’était. Le visage de sa sœur disparaissait sous la capuche de pilote qui permettait de communiquer avec l’ensemble des systèmes du vaisseau, mais Anakin perçut son appréhension. Ignorant tout de la procédure d’atterrissage sur une base Yuuzhan Vong, ils avaient opté pour une approche ouverte, estimant qu’une erreur de procédure serait certainement moins inquiétante pour leurs ennemis qu’une progression furtive.
Jaina fit rouler le vaisseau sur tribord et mit le cap sur les lignes sombres des engins en orbite qui striaient la surface du vaisseau-monde. Celui-ci emplissait à présent complètement la verrière de la passerelle. Anakin demanda à Ulaha de brancher les caméras holographiques et d’enregistrer un maximum d’informations concernant le terrain dans son databloc. Apparemment, le très long voyage d’une galaxie à une autre avait causé pas mal de dégâts au massif engin spatial. Quelques crevasses noircies, aux bords acérés, signalaient des failles dans sa coque extérieure. L’ensemble du planétoïde ressemblait à un assemblage hétéroclite de poussière grise et de corail yorik. En un réseau épars, des quantités de routes de service couraient à sa surface, convergeant occasionnellement vers des intersections en étoiles ou disparaissant dans la gueule obscure de quelque portail donnant sur l’intérieur.
Le vaisseau-monde ne les avait toujours pas hélés. Anakin sentit sur sa nuque quelques picotements attestant d’un danger imminent. Aucune base de la Nouvelle République ne laisserait ainsi un vaisseau approcher de si près sans entrer en contact avec lui. Jaina avait réussi à maintenir la distance qui les séparait des autres appareils et elle longeait à présent la courbe du planétoïde. Un complexe de monts coniques apparut à l’horizon, saillant de la coque extérieure, un peu à tribord de la longue colonne de vaisseaux qu’ils étaient en train de suivre. Même à l’œil nu, Anakin vit que ces constructions émergeaient de la surface en bordure d’un puits noir grand comme une ville.
– Ulaha ? Agrandis-moi cette section, tu veux ? dit-il. Qu’est-ce que ça donne ?
Ulaha fit pivoter ses caméras holographiques sur le complexe et augmenta la puissance des zooms.
– On dirait une sorte d’astroport, siffla-t-elle. (Même si la jeune Bith se sentait considérablement mieux suite à sa transe curative, elle était toujours faible et très pâle.) Il y a une sorte de grand puits entouré de nombreux portails d’accès. J’ai l’impression que ce sont des quais de chargement.
– Abandonnés ?
– Non, vides, le corrigea Ulaha. Pas de vaisseau en vue, mais les aires d’atterrissage sont couvertes de conteneurs de fret… et de cages…
Anakin projeta les ondes de la Force sur la structure. Il ne parvint pas à percevoir la sensation de douleur qu’il avait ressentie auparavant, mais la faim vorace du voxyn était plus puissante que jamais. Le picotement sur sa nuque se transforma en brûlure et, remarquant que leur vecteur d’approche actuel s’écartait du complexe, il comprit pourquoi le vaisseau-monde ne les avait pas encore hélés.
– Ils sont en train d’essayer de nous piéger. Jaina, mets le cap sur ce complexe immédiatement ! (Anakin activa son comlink.) Ganner ? Toi et Tesar, préparez les missiles. Attendez les coordonnées de ciblage. Message à tous : vérifiez vos combinaisons pressurisées.
Ça va secouer. Jaina fit pivoter l’appareil et Lowbacca émit un grondement.
– Ciel ! couina la voix de M-TD dans le petit objet pendu au cou d’Anakin. Maître Lowbacca signale la présence d’un croiseur…
– J’avais compris ! l’interrompit Anakin.
Dans le lointain, au-dessus de l’horizon, une sorte d’œuf en corail yorik fit son apparition. En flottant, il vint se poster entre la Mort Exquise et ce complexe qu’Anakin avait à présent bien identifié comme étant un accès au centre de clonage. Lowbacca leur signala que les corvettes venues de Myrkr étaient en train de rompre la formation et d’accélérer. La demi-douzaine de vaisseaux qu’ils avaient suivis jusqu’à présent étaient en train de converger vers le croiseur. Lorsque M-TD essaya de leur relayer cette information en Basique, Anakin tendit la main et le désactiva.
L’un des petits villips installés à côté du plus gros destiné d’ordinaire à héler les vaisseaux se retourna soudain comme un gant et adopta l’apparence d’une grossière tête de Yuuzhan Vong au front orné de mèches broussailleuses.
– Gadma dar, Ganner Rhysode !
Anakin se tourna vers Tahiri pour obtenir la traduction, mais le petit villip s’adressa soudain à lui en Basique avant même que la jeune femme puisse répondre.
– Appuyez sur le villip principal, Jeedai, afin que nous puissions communiquer.
– Jaina, dit Anakin avant d’obéir. Conserve le même cap. Lowie, braque les collimateurs de ciblage sur le croiseur et envoie les coordonnées à Ganner et à Tesar.
Le Yuuzhan Vong s’impatienta :
– Jeedai, c’est la sphère de cuir qui se trouve à côté de celle qui vous parle actuellement…
Anakin appuya sur le villip en question. Au lieu de se retourner, l’objet s’entrouvrit en son centre et déploya vers lui un court tentacule terminé par un œil noir. Le Yuuzhan Vong – ou plutôt le villip le représentant – souleva un sourcil et commença à s’exprimer dans sa propre langue. Puis il se ravisa et sourit.
– Très bien, Ganner Rhysode, je constate que nous ne sommes pas les seuls à utiliser des systèmes de grimage.
Ne voyant aucune raison de reprendre son ennemi sur son erreur, Anakin conserva son camouflage holographique.
– Je suppose que vous n’appelez pas uniquement pour prendre de nos nouvelles, capitaine.
– Commandeur, le corrigea l’officier. Il est de mon devoir de reprendre ce vaisseau que vous nous avez volé.
– Volé ? demanda Anakin. Nous vous l’avons juste emprunté. Nous vous le rendrons quand nous aurons fini.
Le villip du commandeur se figea pendant un instant, puis il fronça les sourcils.
– J’ai bien peur qu’il ne nous faille vous le reprendre dès maintenant. Rendez-vous au matalok qui se trouve juste devant vous et vous serez le seul à subir les conséquences de… la mauvaise utilisation… de la Mort Exquise.
Anakin jeta un coup d’œil par la verrière et vit un ovoïde à peu près aussi long que son bras. La distance entre les deux vaisseaux ne devait guère excéder la douzaine de kilomètres et pourtant le croiseur n’avait pas encore ouvert le feu. Peut-être que son commandeur nourrissait le rêve de livrer en personne les dix-sept Jedi à Tsavong Lah. A moins qu’il ne soit persuadé que son croiseur n’avait pas grand-chose à craindre d’un vaisseau aussi petit que la Mort Exquise.
Lowbacca grogna pour signaler que douze coraux skippers, et autant de corvettes, venaient de prendre position près du centre de clonage.
– Ce serait futile d’obliger mon matalok à vous attaquer, Jeedai, l’avertit le commandeur. Mon piège est bien tendu et le Maître de Guerre a bien spécifié que les otages de Talfaglio auraient à subir les conséquences d’un échange de feu.
– Vraiment ? (Anakin ouvrit ses émotions au reste du groupe afin qu’ils se tiennent prêts pour ce qu’il avait l’intention d’entreprendre.) Je vois que je n’ai pas le choix.
En espérant que, de son côté de la galaxie, Luke était prêt à passer à l’action, Anakin décrocha son sabre laser de sa ceinture et, pressant le bouton d’activation d’un coup de pouce, trancha le villip en deux.
– En avant toute, Jaina. (Il alluma son communicateur.) Ganner, vise le croiseur. Programmez une mise à feu de proximité. Vous pouvez tirer dès que vous le sentez.
– Missile tiré.
La réponse parvint à Anakin avant même qu’il ait fini de donner ses instructions. Mais, lorsque le missile apparut par la verrière, Anakin comprit que Ganner avait parfaitement deviné ce qu’il comptait faire. Le commando avait établi un lien psychique presque automatiquement, pour ne pas dire inconsciemment, dès que le combat avait été perçu comme inévitable.
L’apparition inattendue du missile sembla plonger les Yuuzhan Vong dans la confusion pendant quelques secondes. Une nuée de boules au plasma s’éleva à la rencontre du projectile, obligeant le cerveau droïde de ce dernier à lancer ses programmes de contre-mesure. La fusée détourna une partie de son énergie vers ses déflecteurs et continua vers sa cible en exécutant une série de vrilles destinées à se jouer des tirs ennemis. Anakin n’eut pas besoin de dire à sa sœur de contourner leur objectif. Le baradium était la substance qui entrait dans la composition de ces armes dévastatrices qu’étaient les détonateurs thermiques. Le missile transportait suffisamment de ce matériau pour détruire une section d’assaut dans son intégralité.
Les artilleurs Yuuzhan Vong essayèrent en vain pendant quelques secondes d’abattre le missile qui tourbillonnait vers eux. Ils confièrent alors la suite des opérations aux équipes chargées des boucliers de protection. Un trou noir apparut à environ cinq cents mètres du croiseur et aspira le missile pour l’anéantir.
Dès que la fusée détecta la présence de l’anomalie, son cerveau droïde activa le laser de guidage pour mesurer la distance le séparant de sa cible. Calculant que quatre-vingt-dix-huit pour cent de la masse se trouverait dans le diamètre de son explosion, l’ordinateur déclencha la mise à feu des mille kilos de baradium. Le croiseur disparut dans une sphère aveuglante qui évoqua, l’espace de quelques secondes, un soleil d’un kilomètre de diamètre. La Mort Exquise, atteinte par l’onde de choc, se mit à trembler.
– On fait quoi, maintenant ? demanda la voix de Ganner dans le comlink. On passe au plan D ?
– En quelque sorte. (Anakin regarda en direction du centre de clonage et vit une douzaine de traînées de coraux yoriks converger vers les bâtiments. Leurs ennemis semblaient vouloir économiser leur énergie et il devenait évident qu’ils n’ouvriraient pas le feu sur la Mort Exquise tant que l’appareil ne se trouverait pas à bout portant. Dans la mesure où les corvettes d’escorte devaient toujours se trouver derrière eux, la stratégie semblait des plus raisonnables.) Bon, voilà ce qu’on va faire…
A peine Anakin eut-il décrit son plan qu’Ulaha lui tendit son databloc.
– Qu’est-ce que tu veux que j’en fasse ?
– C’est moi qui dois rester à bord du vaisseau, dit-elle.
Anakin sentit soudain que sa sœur était au moins aussi inquiète que lui.
– San vouloir te vexer, Ulaha, dit Jaina, je pense que tu n’es pas de taille…
– Peut-être pas, mais je sais piloter et la Mort Exquise n’a rien d’un chasseur stellaire… (Elle posa le databloc dans la main d1 Anakin.) Comme prévu, ton plan affiche une probabilité de succès de vingt et un pour cent, avec une projection de disparition des effectifs de l’équipe de quatre-vingt-dix pour cent. Sans moi pour couvrir votre opération au sol, les probabilités de succès passent à quinze pour cent.
– A ce point ? (Anakin ne voulut même pas connaître le taux de mortalité.) Bon, d’accord, contente-toi de larguer la navette de 2-1S et de décamper. Tu as besoin de quelque chose ?
Ulaha réfléchit quelques instants avant de déclarer :
– Si vous en avez le temps, j’aimerais bien récupérer une bonne longueur de ce tube en métal qu’on a dans le nécessaire de réparation des droïdes. Laissez-le dans la coursive.
– Tu peux compter sur nous. (Anakin voulut la prendre dans ses bras, lui serrer la main, faire quelque chose. Mais la décision de la jeune Bith semblait irrévocable. Il envoya Jaina rejoindre le reste de l’équipe, qui était en train de s’assembler dans la soute principale. Puis il marqua une pause à la porte-valve et regarda derrière lui.) Pas d’héroïsme, Ulaha. C’est un ordre. Tu te contentes de larguer 2-1S et tu décampes.
Elle hocha la tête.
– D’accord, Anakin. Il n’y a que cela à faire, de toute façon. (Elle reporta son attention sur la planche de bord et s’empara de la capuche de commandement.) Maintenant, dépêche-toi. Chaque minute de retard réduit les probabilités de succès de cette mission de zéro virgule deux pour cent.
Ressentant soudain un grand creux et une immense solitude tout au fond de lui, Anakin dévala les coursives jusqu’à la soute. Là, les Jedi étaient déjà en train de charger leur matériel et d’embarquer à bord de cinq capsules de matériel Yuuzhan Vong. Il déposa, comme prévu, la section de tube dans la coursive à l’attention d’Ulaha, scella la porte de la soute et rejoignit les autres.
Zekk était en train de s’occuper du chargement avec Tesar, Ganner, Jovan et Tenel Ka.
– Tu es sûr qu’il y a assez de détonateurs thermiques ? grogna le Barabel. Il va nous falloir beaucoup de détonateurs pour les voxyns.
– Vous en avez quatre caisses, dit Zekk, refermant la porte de la capsule.
– Seulement quatre ? demanda le Barabel.
Zekk secoua la tête et verrouilla la fermeture de la capsule avec une bande de gelée blorash. Il fit signe à Anakin de rejoindre Raynar, Eryl et Tahiri dans une autre capsule.
– Nous sommes les derniers. J’ai cru bon de séparer les familles et de disperser le matériel.
Il n’était pas nécessaire de justifier de telles précautions. Anakin hocha la tête, passa la capuche de sa combinaison pressurisée et se glissa à l’intérieur de la capsule, à côté de Tahiri et face à Raynar et Eryl. Zekk pénétra dans l’étroit logement juste derrière Anakin, alluma un bâtonnet lumineux et scella la capsule de l’intérieur. La Mort Exquise continua sa progression, sans rencontrer la moindre résistance, pendant ce qui leur parut durer une éternité. Dans le lien mental, Anakin sentit l’anxiété d’Ulaha céder petit à petit la place à la stupéfaction.
– Ils viennent à notre rencontre, mais ils n’ouvrent pas le feu, lança Ulaha dans le communicateur. Là, ils sont en train de se disperser et des tentacules d’entrave sont en train de se déployer du nez de certains de leurs vaisseaux.
– Ils veulent toujours essayer de nous capturer vivants ! s’étrangla Anakin. Pourquoi prendre de tels risques ?
– Ils ne sont pas de notre galaxie, grogna l’une des sœurs Barabel dans son micro. Autant ne pas essayer de comprendre leurs motivations.
La Mort Exquise vira brusquement sur bâbord, puis recouvra son cap initial avant de piquer violemment du nez et de se cabrer comme le ferait un chasseur stellaire.
– On doit commencer le largage, annonça Ulaha. (Le vaisseau se mit à trembler.) Ils nous balancent de plus en plus de tentacules d’entrave.
– Zone de parachutage à deux kilomètres du spatioport, cap au un-vingt-deux, annonça 2-1S depuis sa navette. Effet de surprise maintenu et relativement élevé.
Anakin donna le feu vert et Ulaha lança la Mort Exquise en chandelle, ce qui fît craquer toutes ses structures de corail yorik. De la dernière capsule de la rangée, 2-4S utilisa son canon Blaster pour percer dans la paroi une baie de largage improvisée. La soute se dépressurisa dans un hurlement terrifiant. La capsule d’Anakin, la cinquième, glissa sur le sol de la soute en direction de l’ouverture.
– Largage des leurres ! annonça 2-4S.
Anakin sentit que sa capsule avançait de plus en plus vite.
– Capsule un larguée ! (Il y eut un moment de silence et puis 2-4S reprit la parole :) Un tentacule ennemi a intercepté la capsule leurre.
Anakin retint son souffle. Il avait espéré que le leurre exploserait en touchant le sol, mais, du moment que les Yuuzhan Vong étaient persuadés que le vaisseau larguait des bombes et non pas des conteneurs chargés d’équipement et d’hommes, tout allait bien.
Une volée de parasites retentit dans les comlinks. Puis la voix à peine audible de 2-1S s’éleva :
– Leurre détruit. Sérieux dégâts causés à l’appareil ennemi.
Les Barabel sifflèrent d’excitation sur le canal de communication.
– Capsule deux, larguée ! annonça 2-4S. Capsule trois…
Anakin n’entendit pas le reste de la phrase car un grincement terrible retentit dans le conteneur au moment où celui-ci franchissait les rebords de la soute et tombait dans le vide. Il sentit son estomac se retourner et les cinq occupants de la capsule flottèrent alors en apesanteur.
– 2-4S largué ! annonça le droïde de guerre.
Tahiri saisit le bras d’Anakin et Eryl se mit à égrener un compte à rebours à voix haute. Anakin s’ouvrit aussi complètement que possible à la Force, attentif à toute émotion lui suggérant que les autres avaient été appréhendés par l’un des tentacules d’entrave ou bien détruits par une décharge de plasma. Il ne perçut que des appréhensions similaires aux siennes. Sauf pour les Barabel, dont les émanations psychiques correspondaient à l’équivalent d’un énorme « youpi ! ».
Finalement, Eryl annonça :
– Quinze secondes… Top !
Selon les calculs, enfin normalement, ils ne devaient se trouver qu’à mille mètres de la surface du vaisseau-monde. Anakin freina leur descente avec la main invisible de la Force, ralentissant suffisamment pour que tous cessent de flotter à l’intérieur de l’habitacle. Les droïdes de guerre avaient estimé qu’une décélération correspondant à une fois et demie la gravité standard serait indécelable par leurs ennemis. D’autre part, cela leur donnerait un pourcentage de survie au crash de quatre-vingt-dix-neuf pour cent.
Anakin demeura silencieux pendant toute la descente. Il aurait tant souhaité pouvoir observer la surface, percevoir l’atmosphère presque inexistante qui les entourait. Après quelques secondes, il décida qu’ils devaient avoir atteint leur objectif et s’empressa de ralentir complètement leur descente. Le choc terrible de l’impact au sol les catapulta les uns contre les autres. Ils connurent quelques secondes d’apesanteur supplémentaire lorsque la capsule rebondit. Puis elle exécuta une série de tonneaux, dont Anakin perdit le compte, et s’immobilisa, laissant ses occupants dans un inextricable enchevêtrement.
Anakin invoqua la Force pour soulever ses compagnons tout autour de lui, puis alluma son sabre laser et fit sauter la bande de gelée blorash qui fermait l’ouverture. A peine avait-il ouvert une brèche grosse comme le poing que Zekk et les autres activèrent des grenades à retardement qu’ils jetèrent, en faisant appel à la Force, par l’ouverture. Deux secondes plus tard, une boule de feu explosa à une cinquantaine de mètres au-dessus d’eux.
Espérant que l’explosion serait suffisamment réaliste vue de loin, Anakin termina d’ouvrir la capsule et mit le pied dans un cratère poussiéreux de corail yorik mort aux teintes brunes. Mesurant à peine trois mètres de profondeur, le sillon atteignait presque trois cents mètres de long et cent mètres de largeur. Il ne s’agissait probablement pas d’un cratère dû à un impact, mais d’une sorte de cicatrice résultant d’une erreur passée. A quelque distance de là, juste en face d’Anakin, reposait la carcasse éventrée d’une autre capsule d’équipement. De minuscules silhouettes allaient et venaient autour de sa base. L’un des Jedi sentit la présence d’Anakin et lui fit un salut de la main. Puis tous les occupants se mirent à courir dans la direction du jeune homme. Quelques instants plus tard, la capsule disparut dans l’étincelante gerbe de feu causée par un détonateur thermique.
L’attention d’Anakin fut brusquement attirée par un mouvement furtif dans le ciel. Il releva la tête juste à temps pour voir une petite forme non identifiée suivre une trajectoire parabolique et sortir de son champ de vision avant de disparaître dans une terrifiante explosion. Imaginant soudain qu’ils faisaient à présent l’objet d’un bombardement Yuuzhan Vong, Anakin faillit se jeter à terre. Mais il se ravisa en voyant l’armure noire au camouflage étoile d’un droïde de guerre de la série CYV-S de Tendrando Armements émerger du nuage de fumée et courir vers lui à une vitesse ahurissante.
Anakin demanda à Eryl et à Raynar de vider leur propre capsule. Il envoya Zekk faire le tour du cratère en éclaireur, puis s’accorda quelques instants de réflexion pour renouer le lien psychique lui permettant de contacter le reste de l’équipe. Il perçut quelques nausées, quelques bosses et plaies, mais son commando semblait intact. Exactement comme l’avaient prévu les droïdes de guerre.
Le jeune homme sortit ses macrobinoculaires et les pointa vers l’espace. En l’absence de traînées bleues, attestant de l’emploi de propulseurs ioniques, pour repérer les vaisseaux, il lui fallut un moment pour retrouver l’emplacement de la bataille spatiale. Les combats s’étaient à présent déportés au-dessus des cieux de Myrkr. CYV 2-1S venait juste de quitter l’appareil encore piloté par Ulaha. La petite navette noire et bosselée du droïde plongea en vrille vers le vaisseau-monde et la Mort Exquise mit le cap sur l’espace profond.
A la déception d’Anakin, les Yuuzhan Vong n’avaient que partiellement mordu à l’hameçon. Des coraux skippers et quatre corvettes entouraient la navette de 2-1S, déployant des tentacules d’entrave pour tenter de stopper l’appareil. Heureusement, les autres Vong s’étaient lancés à la poursuite de la Mort.
Un bruit de pas lourds se produisit à côté d’Anakin et celui-ci entendit Ganner parler sur le canal de communication :
– Nous sommes prêts à partir, Anakin. On a les coordonnées du spatioport. D’après les capteurs de 2-4S, ils ne se sont pas encore rendu compte que nous sommes ici.
Anakin baissa ses macrobinoculaires et tourna les talons. Il aurait préféré rester et obtenir confirmation que 2-1S et Ulaha avaient bien réussi à s’échapper. C’était le moins qu’il puisse faire pour eux. Mais il savait également que la jeune Bith et le droïde de guerre auraient insisté pour qu’il se mette en route. Chaque minute supplémentaire de retard réduisait les probabilités de succès de la mission de zéro virgule deux pour cent.
Le commando venait de parcourir cinq cents mètres lorsque la voix métallique de 2-4S retentit dans le canal de communication :
– 2-1S signale un taux de survie proche de zéro. Optimisation…
Une boule de feu orangée éclata dans le ciel et la détonation noya les derniers mots du droïde dans une tempête d’interférences. Anakin pointa ses macrobinoculaires juste à temps pour voir un trio de corvettes ennemies disparaître dans un nuage blanc de poussière de corail yorik. Le quatrième engin, une vague tête d’épingle à cette distance, se mit à dériver en spirale, ayant échappé au contrôle de son pilote.
– Taux de perte optimisé, conclut 2-4S.
– Efficacité maximale, dit Anakin en hochant la tête.
Tous savaient, après les séances d’entraînement avec 1-1A, qu’il s’agissait là du meilleur hommage qu’on puisse rendre à l’un des droïdes de Lando. Plusieurs Jedi répétèrent le compliment. Ils continuèrent d’avancer vers le spatioport, utilisant la Force pour maîtriser le nuage de poussière qui se soulevait sous leurs pieds et qui ne cessait de se propager dans l’atmosphère dénuée d’oxygène.
Quelques minutes plus tard, 2-4S détecta l’approche de deux coraux skippers. Le commando se dissimula dans le nuage de poussière et attendit. Les deux engins passèrent à basse altitude et procédèrent à un ratissage de la zone du crash des capsules. Ils n’étaient supposés découvrir que quatre immenses cratères dus à une explosion de baradium, suggérant que la Mort Exquise n’avait finalement largué que quatre bombes au ciblage mal calculé. Avec un peu de chance, ils retourneraient vers leur base en se moquant de l’incompétence de leurs ennemis. Mais, en attendant, les Jedi se devaient de rester patients.
Bien que personne ne le formulât clairement, toutes les pensées étaient tournées vers Ulaha, seule à bord de la Mort Exquise, avec cinq corvettes et une nuée de skips aux trousses. Dans le lien psychique, la jeune Bith était de plus en plus distante, mais Anakin sentit qu’elle était absorbée par la tâche qui lui incombait. Elle était épuisée, elle souffrait, mais elle n’avait pas peur. Elle était en paix, en parfait équilibre avec elle-même. Osant espérer qu’une telle preuve de tranquillité signifiait qu’elle était parvenue à s’échapper, Anakin ressortit ses jumelles dès que les vaisseaux de recherche eurent disparu. Il fouilla les ténèbres à la recherche de la Mort Exquise. Une tâche impossible. Même en regardant dans la bonne direction, Ulaha et ses poursuivants étaient bien trop loin pour être détectés par les macrobinoculaires.
Le commando reprit sa marche. La présence d’Ulaha faiblit de plus en plus avant de disparaître complètement. Anakin devina, à la poussée soudaine d’anxiété dans le lien mental, qu’une même terreur venait d’envahir l’esprit de tous les Jedi présents.
– Est-ce qu’elle est… commença Tahiri.
– Non, l’interrompit Jacen. On l’aurait senti.
– Peut-être qu’elle a sauté dans l’hyperespace, dit Anakin. 2-4S ?
– Négatif, annonça le droïde. La Mort Exquise se trouve toujours à portée des senseurs.
C’est alors qu’une musique s’éleva. Une mélodie entêtante, qui envahit Anakin jusque dans son esprit. La mélopée n’avait rien de lugubre, elle était plus apaisante que triste, et probablement l’un des plus beaux airs que le jeune homme ait jamais entendus. Il se retourna et vit que les autres regardaient tous vers le ciel, la tête légèrement penchée pour mieux écouter. Des larmes perlèrent aux yeux de certains à travers leurs masques de protection.
– Mort Exquise et poursuivants en décélération, rapporta 2-4S. L’analyse suggère que le vaisseau a été appréhendé par des tentacules d’entrave.
Personne ne sembla écouter le rapport.
– J’aimerais… commença Jaina avant de se taire. (La mélodie s’envola et gagna de l’énergie.) J’aimerais bien pouvoir enregistrer ça.
– Oui, dit Jacen. Je suis certain que Tionne aimerait bien récupérer l’enregistrement pour ses archives… C’est une triste perte pour les Jedi…
Anakin ne parvint pas à déterminer, à la voix plutôt atone de son frère, si Jacen venait d’émettre une critique ou bien s’il se contentait de dire à voix haute ce que tout le monde pensait tout bas. La capture de la Mort Exquise et d’Ulaha ne faisait plus aucun doute. Même si la jeune Bith survivait à l’abordage d’une section d’assaut, elle n’endurerait pas à nouveau les souffrances d’une séance de torture.
La musique reprit son refrain d’ouverture, mais avec plus de puissance, sans la moindre tristesse. Elle monta en un robuste crescendo…
Et dans le silence brutal, Tahiri avala de travers.